Conte japonais #18 – La sorcière renarde

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Il y avait une fois, dans un quartier paisible de la vieille Edo, une famille de marchands prospère qui avait fait fortune en vendant des soieries.

Ils habitaient une belle maison de bois, à la devanture accueillante où se pressait toujours une foule de clients venus choisir leur prochain kimono. A l’arrière, les autres pièces étaient toutes confortables, décorées avec goût des belles portes coulissantes et toujours pavées de tatami neufs.

Une seule chose manquait à leur bonheur : malgré leur fortune, leur fils unique, Takahiro, était toujours célibataire. C’était un jeune homme difficile, qui trouvait toujours quelque chose à redire lorsque ses parents lui présentaient une jeune fille :

– Celle ci est trop maigre, celle-là stupide, et elle d’un ennui. Oh Mère, la femme parfaite existe je le sais ! je dois juste être patient !

Le marchand et sa femme aimaient tendrement leur fils et n‘avaient pas le coeur à lui forcer la main. Bientôt, le bruit se répandit en ville que le jeune maître, né avec une cuillère en argent dans la bouche, n’était qu’un gamin ingrat et insipide.

Un jour pourtant, alors que Takahiro tenait la boutique, la cloche retentit. Et une vision paradisiaque lui coupa le souffle.

Au milieu des soies et des riches brocades, se tenait la plus belle femme qu’il ait jamais vu. Sa chevelure noire et soyeuse rehaussait sa peau de perle et ses yeux mystérieux. D’une voie douce comme du velours, la jeune dame susurra :

– Je m’appelle Kotama. Vous êtes le jeune maître n’est-ce pas ? M’aiderez vous à choisir mon kimono ?

Et lorsque l’apparition sourit, Takahiro sut qu’il était perdu.

Les semaines qui suivirent, Kotama revint souvent à la boutique. Et à chacune de ses visites,  un Takahiro complètement fasciné lui tenait compagnie, subvenant à tous ses désirs.

– Elle est l’être le plus incroyable que j’ai jamais rencontré ! Si gracieuse et oh tellement intelligente ! Elle est tout ce dont je rêvais ! Père, laisse moi l’épouser !

Ses parents étaient bien moins enthousiastes à l’idée de laisser une étrangère rejoindre leur famille :

– Takahiro, c’est une jeune fille incroyable, bien élevée et riche c’est certain. Mais nous ne savons rien d’elle, tu ne pense pas que les choses vont trop vite ?

Takahiro bouda et revint à la charge encore et encore.

– Vous savez bien que je ne serai jamais heureux sans elle à mes côtés !

Finalement, ses parents, qui ne souhaitaient que son bonheur, acceptèrent leur union.

Le mariage eut lieu aussitôt, une fête somptueuse qui occupa le voisinage pendant des jours. Pourtant, étrangement, Takahiro et sa famille ne gardèrent que peu de souvenirs de la cérémonie ou des visages de la famille de la mariée.

Kotama emménagea avec son mari. C’était une belle fille modèle, qui portait une grande attention aux besoins de ses nouveaux Père et Mère, travaillant aussi sans rechigner au magasin familial. Attirés par ses sourires et sa douce voix, les clients affluaient et les affaires se portaient bien.

Cependant, malgré le bonheur du jeune couple, les parents de Takahiro étaient de plus en plus nerveux en présence de la jeune femme. Elle avait le pied léger et une nette tendance à les surprendre. Plus d’une fois, ils avaient été surpris de la trouver dans une pièce qu’ils pensaient alors vide, assise comme si elle s’était toujours tenu là.

Un jour alors que l’automne tirait à sa fin, Takahiro ne descendit pas pour le petit déjeuner. Il resta aussi alité le jour suivant. Inquiète, sa mère fit venir le médecin.

– Ce n’est qu’un coup de froid.

Le docteur ne cessait de regarder Kotama, qui se tenait au chevet de son mari, image même de la compassion.

– Il a juste besoin de repos, je suis sûr que, grâce aux soins conjugués de sa mère et de sa femme, il sera vite rétabli !

Mais chaque matin, Takahiro apparaissait un peu plus faible et épuisé. Bientôt, ses joues creuses et son teint crayeux jurèrent avec la peau fraîche et l’insolente santé de Kotama.

– Je te le dis, il y a quelque chose de bizarre chez cette fille.

La mère de Takahiro ne la supportait plus. Son  mari soupira :

– Elle s’inquiète toute la journée pour notre fils. Je reconnais qu’elle est parfois… étrange. Mais ne serais-tu pas juste jalouse d’elle ?

L’atmosphère se détériora encore lorsque l’hiver s’installa. Takahiro était à présent si faible qu’il peinait à se déplacer et Kotama passait ses journées fidèlement à son chevet.

La mère de Takahiro n’en pouvait plus.

– Cette fille ! Je sais qu’il est malade à cause de cette garce !

Et un soir, alors que Kotama baignait Takahiro, elle décida de se cacher dans le large placard de leur chambre. Retenant son souffle, elle jeta un oeil dans l’entrebâillement des portes coulissantes.

D’abord il ne se passa rien d’inhabituel. Kotama allongea précautionneusement son mari sur son futon, le bordant soigneusement avec la lourde couverture d’hiver. Puis, elle se pencha pour l’embrasser.

La mère de Takahiro retient un cri.

Une fumée bleuâtre s’élevait de la bouche du malade. A chaque inspiration, les joues de Kotama devenaient un peu plus roses et ses lèvres plus rouges.

– Ne touche pas à mon fils, sale monstre !

La mère avait ouvert précipitamment le placard, s’élançant au chevet de son fils et lui faisant rempart de son corps.

Kotama se leva, indifférente. Elle pencha joliment la tête sur le côté, jetant un regard pensif à la vieille femme :

– Quel dommage. Ton fils était un imbécile bien sûr, mais toi et ton mari… je crois que je vous aimais bien.

Et cette fois ci, lorsque Kotama sourit, elle n’avait plus rien d’une jolie fille. Les yeux froids, griffes et crocs brillants à la lumière des chandelles, elle bondit sur sa pauvre proie.

Le lendemain, inquiets de voir la boutique vide et silencieuse, les voisins finirent par rentrer dans la maison.

Ils pâlirent.

Partout, du sang éclaboussait les murs, domestiques et maîtres tous sauvagement massacrés. Les soies les plus précieuses et les bijoux s’étaient envolés. Et, sinistrement bien nettes sur le sol détrempé, on pouvait voir la piste sanglante de pattes de renard.


Notes:

Ce conte termine la série speciale “Kitsune” du mois d’octobre – avec du sang juste à temps pour Halloween 😉

La Japon a beaucoup de contes décrivant des kistune enchanteresses. La plus fameuses de toutes est  Tamamo-no-Mae. Cette vicieuse kitsune à neuf queues s’est rendue célèbre en causant de nombreux désastres à travers l’Asie – notamment en faisant tomber gravement malade l’Empereur (d’un façon très semblable à celle de Kotama et Takahiro).

Les sorcières renards (megitsune) partagent toutes les mêmes pouvoirs de transformations, devenant souvant de belles jeunes femmes, bien plus sages que leur age. Comme tous les reanrds youkai, ce sont des maîtres de l’illusion capables de courber la réalité.

Si certaines cherchent simplement des compagnons humains, fondant un foyer et vivant comme de parfaite mères au foyer, d’autres sont bien plus sombres. Véritables femmes fatales, les renardes utilisent leur pouvoirs pour appâter les hommes. Au mieux, elles dévalisent (les kitsune aiment le luxe) et abandonnent leur victimes dans des endroits effrayants comme des cimetières. Au pire, leurs proies inconscientes voient leur force vitale siphonnée (elle aide la megitsune à rester jeune)… ou sont brutalement assassinées.

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