Conte japonais #23 – Le loup dormant

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Il y avait une fois, un moine qui vivait dans la montagne décida qu’il était temps de partir en pèlerinage pour un temple lointain. Il réunit ses maigres possessions dans un baluchon et prit la route sans plus tarder, traversant champs et vallées jusqu’à ce qu’il atteigne une grande forêt.

C’était un endroit stupéfiant, magnifique et sauvage. Un petit sentier traversait ces bois, seule marque de la présence de l’homme en ces lieux reculés. Les arbres immenses étendaient leurs ramages, transformant la brillante lumière du jour en un étrange crépuscule. Le moine rassembla son courage et continua sa route.

Il marcha et marcha pendant des heures, évitant les ronces et les racines traîtresses. Soudain, il pila net.  Au milieu du petit chemin, se tenait un loup endormi.

– Je ne peux poursuivre ma route, si cette bête se réveille, elle me traquera et me mangera. Que faire… Oh! Je sais!

Le moine ouvrit son sac et attrapa sa conque. Il s’approcha du loup sur la pointe des pieds et dès qu’il fut assez prêt….

POOOOOOOOOM

… il souffla dans sa trompette aussi longtemps et aussi fort qu’il put.

Le loup n’avait jamais entendu un son aussi horrible. Il bondit sur ses pattes et détala, la queue entre les jambes.

Le moine rit, soulagé :

– Cela devrait suffire !

Il poursuivit sa route, et marcha et marcha, jusqu’à ce que le soleil disparaissent et que le crépuscule fasse place à une nuit d’encre.

– S’il y a des loups dans ces bois, je ne peux pas dormir au sol, sans protection…

Le moine avisa un arbre qui surplombait le sentier.

– cela fera l’affaire. Après tout, les loups ne grimpent pas aux arbres !

Il grimpa et s’installa confortablement dans une des fourches. Fatigué par sa longue journée de marche, l’homme s’assoupit rapidement.

Au plus profond de la nuit, quelque chose bougea dans les buissons. Le moine se réveilla en sursaut, le cœur battant. Une queue apparut, puis une seconde, puis une troisième. Bientôt, une meute de loups s’était regroupée au pied de l’arbre.

Une voix profonde grogna :

– Voilà donc le méchant petit homme ! La vieille Fujiyoshi te croquera !

L’une des bête s’approcha de l’arbre et fit la courte échelle à l’un de ses compagnons. Le moine n’en croyait pas ses yeux :

– Oh non, voilà qu’ils grimpent ! S’il m’atteignent je suis perdu !

Il fouilla fébrilement son baluchon et sa main saisit son vieux couteau. Juste à temps ! Une grande louve blanche avait atteint la fourche et rugit :

– Je suis Fujiyoshi, et je ne te laisserais plus jamais attaquer l’un des miens !

Le moine brandit son couteau:

– Je ne vous veux aucun mal, je souhaitais juste sortir de votre forêt sain et sauf !

Mais le loup avait déjà bondit. L’homme et la bête frappèrent aveuglément jusqu’à ce que :

– Kai ! Je suis blessée !

La louve blanche tomba au sol et s’enfuit en un éclair, suivie par sa meute.

Le moine s’affala, encore tout tremblant. Il ne ferma pas l’oeil de la nuit, surveillant les ombres, mais les loups ne revinrent pas.

Enfin, le soleil se leva. L’homme descendit de son arbre et poursuivit sa route, marchant aussi vite qu’il le pouvait. Bientôt, la sombre forêt derrière fut derrière lui et il atteignit une village aux petites maison avec des toits de chaumes. Il salua les villageois :

– Bonjour bonnes gens. Je suis un moine errant en pèlerinage. M’offririez vous un bol de riz ?

Un voix âgée répondit :

– Qu’on le laisse entrer.

Les villageois le conduisirent dans l’une des maisons. Ce n’était rien de plus qu’une hutte avec un foyer et un lit. Sur le lit, reposait une vieille femme, une serviette humide sur le front.

Le moine s’inclina :

– Grand-mère, tu sembles bien malade. Laisse moi prier pour toi, c’est le moins que je puisse faire pour te remercier de ton hospitalité.

Il s’assit à son chevet et commença à psalmodier. Mais, bien loin de la tranquilliser, ses prières semblèrent rendre la vieille femme encore plus malade. En sueur, elle s’agitait dans son lit. Soudain, la serviette tomba, révélant une plaque de fourrure et un profond coup de couteau sur son front.

Le moine bondit en arrière :

– Mais ! C’était toi ! Tu es Fujiyoshi la louve !

La vieille femme se mit à gémir :

– Les autres ne se souviennent pas de ce qui nous est arrivé mais moi oui. Je n’oublierais jamais ces soldats enragés qui ont pillé notre village. Je n’ai pas réussi à protéger les miens. Oh, trouverons nous jamais la paix dans ces bois ?

Et sous le yeux ébahis du moins, elle se changea lentement en un grand loup. Dehors, les villageois hurlaient un chant à briser le cœur.

– Ils nous massacré tu sais. Et maintenant nous ne pouvons trouver le repos. Je suis si fatiguée petit homme…

Le moine déglutit et pose et une main vacillante sur la fourrure de Fujiyoshi :

– Je pourrais… essayer de lever votre malédiction? Où… où reposent vos os ?

Fujiyoshi le regarda droit dans les yeux, à la fois triste et pleine d’espoir :

– Pour les trouver il faudra me tuer mon garçon.

L’air grave, le moine carra les épaules et saisit son couteau. Il marmonna une prière et prestement, il perça le cœur de la bête.

Alors que Fujiyoshi rendait son dernier soupir, l’air sembla vaciller. Le foyer, le lit et les bols de riz disparurent. Sur le sol, il ne resta bientôt plus que de la poussière et un vieux squelette aux os blanchis par le temps.

Le moine joignit ses mains et s’inclina profondément :

– Tu as prié pour protéger les tiens et l’esprit du loup t’a entendue. Repose en paix, brave Fujiyoshi.

Le moine ne continua pas son pèlerinage. Dans ce lieu désolé, il réunit les os de tous les villageois. Au dessus de leur tombe, il bâtit un temple qu’il dédia au Grand Loup.

Et, on dit que plus aucun malheur ne s’abattit à nouveau sur ces terres.


Notes:

Comme évoqué dans un précédent conte, les loups sont assez rares dans les histoires japonaises. Cependant, celle d’aujourd’hui est un très bon exemple de l’archétype de “puissance divine” qui est souvent associé à ces animaux aux Japon.

Les loups sont étroitement liés aux endroits dangereux comme les montagnes (on les nomme ainsi parfois yama inu). Ils peuvent être mortels mais la plupart du temps, les contes les présentent comme des esprit bienveillants et des juges de la nature humaine : ils protègent les gens bons (qu’il s’agisse de voyageurs perdus, de fermiers ayant des problèmes etc) et punissent les mauvaises personnes.

Les moins ermites (yamabushi) sont des ascètes faisant partie de la secte Shugendo. Impressionnés par leur vies rudes, les gens pensaient que ces moines avaient de grandes connaissances occultes et on leur demandait fréquemment de procéder à des exorcismes. Cet aspect les rapproche beaucoup des miko-chamanes que j’évoquais dans cette histoire.

Les conques sont des instruments de musique utilisés par les moines bouddhistes. En Inde, on les appelle  shankha (horagai au Japon) et ils représentent le pouvoir de la voix du Bouddha. Comme leurs collègues citadins, les yamabushi utilisent ces trompettes pour accompagner leurs prières de mélodies complexes. Les conque étaient aussi très pratiques pour communiquer sur de longues distances – que ce soit en montagne… ou sur les champs de bataille (les conques de guerre des samouraïs étaient appelées jinkai).

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