Conte Japonais #66 – La vague

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Il y a bien longtemps, un couple de gens adorable vivait confortablement au bord de la mer. Malgré leur richesse, tout deux étaient souvent bien tristes car ils ne pouvaient avoir d’enfants.

Ils avaient tout essayé, consultant patiemment des médecins réputés, et payant des prêtres afin qu’ils mènent rituels et prières. Mais hélas, les années et les années passaient, et aucun enfant ne venait illuminer leur vie.

Finalement, tous deux décidèrent de faire un pèlerinage dans les montagnes qui se dressaient à quelques jours de marche de chez eux.

Ils passèrent de douces collines, puis gravirent les pentes couvertes d’herbe que surplombait de lourds sommets. Ils montèrent et montèrent encore jusqu’à ce qu’un brouillard épais noie le monde autour d’eux.

Alors qu’ils passaient une crête, un petit temple battu par les éléments apparut, drapé dans la brume.  Une vieille cloche et une corde élimée pendaient au porche, protégeant les anciennes portes sculptées qui fermaient le sanctuaire.

Le couple frappa dans ses mains et s’inclina, puis sonna la cloche pour en appeler au dieu qui devait garder cet endroit isolé.

– S’il vous plait, donnez nous un enfant.

Seuls les vents répondirent à leurs prières, et après de longues, longues heures, tous deux reprirent à contre cœur le chemin de leur maison si silencieuse.

Contre toute attente, quelques mois plus tard, la dame tomba enceinte et bientôt, elle mit au monde une vive petit fille

Le couple était ravi de voir leurs espoirs enfin devenir réalité. Leur fille était pour eux la plus belle chose au monde.

Avec ses yeux sombres et sages et son sourire éclatant, elle semblait aussi mystérieuse que la mer. Tendrement, ils décidèrent de célébrer sa nature changeante en la nommant Onami, en l’honneur des vagues qu’on entendait battre la côte près de leur maison.

Le temps passa et Onami grandit en remplissant leur foyer de joie. Bientôt, elle était devenu une belle jeune fille, à la chevelure presque aussi longue qu’elle, et à la peau aussi moirée qu’une perle.

Et un jour, ses parents vieillissant reçurent une première demande en mariage.

– Oh que les années filent…

Onami était encore jeune et insouciante, alors ses parents n’en soufflèrent mot.

Mais, quelques mois plus tard, une deuxième lettre suivi. Puis une troisième et une quatrième arrivèrent, chaque fois signée par des familles de plus en plus respectables.

Les deux vieux ne pouvaient plus les ignorer.

Ils firent venir leur chère Onami et lui tendirent les lettres, Elle leva sur eux un regard choqué qui s’embrumait déjà de larmes :

– Mais je ne veux pas vous quitter ! Non, je refuse de me marier !

Ses parents échangèrent un regard inquiet. Mais devant la détresse de leur fille, ils se turent et remisèrent les lettres, promettant de ne plus jamais en parler.

Un sourire fleurit sur le visage d’Onami et le calme revint dans le foyer. Mais, ces jours heureux ne durèrent pas.

Les mois s’écoulaient et le couple sentaient leurs os faiblir, chaque jour qui passaient laissant des traces sur leurs visages. Il ne cessaient de s’inquiéter pour Onami.

– Qu’adviendra-t-il d’elle après notre mort ? Nous sommes sa seule famille !

Finalement, il n’y tinrent plus :

– Onami chérie, nous t’avons trouvé le meilleur mari qu’une jeune fille puisse trouver. Il est doux et sa famille bonne et chaleureuse. Ils prendront grand soin de toi.

Leur fille les regardait, indéchiffrable. Enfin, elle soupira et s’inclina. Puis elle dit :

– Je n’ai qu’une demande. Et ensuite vous pourrez cesser de vous inquiéter pour moi.

Soulagés, ses parents se réjouirent joyeusement :

– Tout ce que tu veux ma chérie !

– S’il vous plait, faisons tous un pèlerinage au temple dans les montagnes où vous avez prié il y a si longtemps…

C’était un vœux si humble que le deux vieux acquiescèrent immédiatement.

Tous trois prirent bientôt la route, marchant à travers les douces collines, gravissant les pentes couvertes d’herbe, et passant la crête.

Le petit sanctuaire se tenait encore là, toujours battu par le temps. Cette fois si aucun vent ne hurlait, aucun brouillard ne drapait l’endroit. Mais un peu plus bas, un lac de montagne au profond bleu cobalt scintillait sous l’ardent soleil de midi.

Les vieux et leur fille prièrent à nouveau, remerciant le dieu avec gratitude. Puis, ils décidèrent de se reposer quelques instants sur la berge avant de reprendre la route.

L’homme et sa femme s’assirent, alors qu’Onami se dressait sans bouger, l’eau léchant doucement ses pieds.

Soudain, la surface de l’eau se rida. L’ondulation grandit et grandit jusqu’à former une large vague. Avant que ses parents n’aient pu faire un geste, elle balaya Onami, l’entrainant dans les abysses alors que ses longs cheveux tourbillonnaient derrière elle.

Les deux vieux gémissaient seuls sur la rive, leurs cœurs brisés d’avoir ainsi perdu leur fille bien aimée.

Pourtant, alors que l’eau indifférente à leurs pleurs redevenait miroir, une ombre blanche étincela dans les profondeurs.

Elle glissa et serpenta sans heurs, jusqu’à ce que des écailles nacrées ne brisent la surface.

Alors que le couple tombait à genoux en tremblant, un immense serpent blanc émergea du lac. Il s’enroula tendrement autour d’eux et dans un triste sifflement, il murmura :

– N’ayez crainte vous qui avez si fiévreusement prié à mon autel. Ne vous inquiétez plus, je n’oublierai jamais la joie que vous m’avez donné.

Et alors que mari et femme versaient des larmes de tristesse mêlées de fierté, caressant affectueusement les douces écailles d’ivoire, le serpent desserra l’étreinte  de son long corps gracieux.

Et Onami disparut, à nouveau engloutie par le lac. On ne la revit plus jamais.


Notes :

Il est facile d’observer les traces d’activité volcanique sur l’île de Kyushu – depuis la large caldera du mont Aso, au volcan Sakurajima près de Kagoshima, et aux célèbres enfers de Beppu.

Ce conte se termine dans la chaîne volcanique de Kirishima. C’est là que se trouve le beau lac de cratère d’Onami, qui tient son nom d’un ruyjin (dieu dragon/serpent) qui s’incarna dans un enfant avant de retourner se nicher dans ses eaux pour toujours.

Serpent et dragons partagent en Asie de nombreuses caractéristiques. Ces sont des créatures aquatiques, quelques fois mauvaise, mais souvent de bon augure. Et comme dans ce conte, l’histoire d’aujourd’hui souligne leur rôle sous jacent de porteur de fertilité, un motif d’autant plus intéressant ici que les sols volcaniques sont connus pour leur incroyable fertilité.

A noter : l’adoption était en fait assez commune au Japon : vous pouviez être adopté enfant ou adulte, pour des raisons sentimentales ou bien plus prosaïques. Un couple infertile – qui plus est riche comme celui d’aujourd’hui – aurait probablement tout simplement fini par adopter l’enfant d’une branche familiale proche (mais c’est toujours chouette d’être bénis par un dieu serpent ;)).

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