Conte Japonais #31 – Un chaton grognon

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Il y avait une fois un marchand très prospère qui tenait une épicerie dans la vieille ville d’Edo. Des centaines et des centaines de sacs et de caisses  s’amoncelaient du sol au plafond. L’endroit était toujours bondé, et de nombreux employés qui naviguaient gaiement entre les clients.

L’homme possédait une belle chatte calico dont il prenait grand soin, certain qu’il devait toute sa bonne fortune à son amie à fourrure.  Il disait à ses clients :

– N’est-elle pas le plus beau chat à la ronde ? Regardez comme elle est belle ! Approchez, approchez, venez la caresser, elle est si douce et tendre ! Oh, et avez vous vu ce que je viens de recevoir il s’agit de…

Et la scène se répétait encore et encore.

Un jour, la chatte tomba enceinte. Le marchand ne pouvait retenir sa joie. Il embaucha un médecin pour prendre soin d’elle et alla faire de nombreuses prières au temple.

Enfin, la chatte calico mit bas un seul et unique chaton. La joie du marchand fut de courte durée.

– Mais enfin qu’est ce que cela ?

Le chaton était une drôle de petite chose, aux yeux encore fermés et aux oreilles tombantes comme beaucoup de chatons nouveaux nés. Mais il avait aussi un bien étrange petit museau, tout grincheux et maussade.

– Bon, cela s’arrangera peut être en grandissant.

Les jours passèrent. Le chaton ouvrit les yeux et commença à marcher. Mais son museau restait le même. Il ressemblait même de plus en plus à un vieil homme grognon et renfrogné.

Le marchand était horrifié:

– Tu es une créature laide à faire peur. Avec cette tête, on dirait que tu en veux au monde entier. Tu vas faire fuir mes clients c’est sûr !

Le marchand ne pouvait plus le supporter. Il fit venir l’un de ses employés et lui ordonna d’aller abandonner le chaton près du temple.

Le jeune homme mit le malheureux chaton dans son baluchon en coton et partit en tout hâte pour le temple. Alors qu’il marchait d’un bon pas, il entendit soudain un cri étouffé.

– Miou?

Le chaton était en train de se réveiller et il avait faim.

– Je t’en prie tais-toi ! Ne rends pas les choses plus difficiles qu’elles ne le sont !

Le chaton se contenta de miauler plus énergiquement :

– Miouuu !

– Quoi, tu as froid c’est ça ?

L’employé soupira et il sortit le chaton de son baluchon. De sa main libre, il desserra les plis de son kimono.

Mais, dès qu’il eut posé le bébé chat contre sa peau tiède, le chaton disparut dans son habit et appuya sa petite gueule contre son ventre.

– Qu-quoi! Arrête, ne me mord pas !

Le jeune homme n’avait pas compris que le chaton affamé essayait simplement de trouver du lait.

La pauvre petite chose tétait et tétait, de plus en plus fort, essayant désespérément de trouver de quoi remplir son estomac.

L’homme se tortillait dans tous les sens, tentant de saisir le petit chat qui s’était glissé loin entre les plis de son kimono. Il s’écria soudain:

– Aïe! Pas les griffes, non pas les griffes !

Avec tout ce tohu-bohu, les gens curieux s’étaient arrêtés dans la rue et ils regardaient le spectacle bien comique de ce grand dadais qui jurait et gigotait dans tous les sens, sans jamais attraper l’obstiné chenapan qui avait trouvé refuge sous son juban.

Finalement, un vieil homme, tout ridé et cassé, eut pitié de lui.

– Du calme, du calme, arrête de crier tu lui fais peur. C’est pas un chaton qui va faire du mal à un grand garçon comme toi.

Le vieil homme guida l’employé bien embarrassé dans sa modeste maison de thé. Il pris un panier qu’il remplit de vieux torchons en coton.

– Et voilà, un nid pour notre petit ami. Bon, voyons si nous pouvons le convaincre de te relâcher !

Le jeune homme desserra ses vêtements et le propriétaire de la maison de thé attrapa le chaton terrifié par la peau du coup. Il feula et cracha vigoureusement :

– Et bien, voilà un petit en pleine santé ! Et regardez moi cet air bougon !

Devant un bonne tasse de thé, l’employé relata toute l’histoire. Le vieil homme fut bien surpris :

– Laid ? C’est sûr que ce n’est pas un beauté, mais je le trouve assez mignon en fait.

Il ajouta, les yeux brillants de malice :

– Et puis tu imagines : si nous devions abandonner tous les gens laids, il ne resterait plus grand monde à Edo !

Au bout du compte, le vieil homme proposa de garder le vilain chaton. L’employé le remercia encore et encore, heureux de n’avoir pas eut à abandonner une jeune vie à une mort certaine.

A partir de ce jour, le chaton et le vieil homme vécurent des jours heureux. La rumeur se propagea et bien vite, les gens se pressèrent à la maison de thé pour rencontrer le chaton toujours grognon. Les affaires marchaient bien et une nuit, après un long service, le vieil homme commenta en caressant son étrange ami :

– Tu es peut être moche mais pour moi tu es le meilleur des porte-bonheurs !


Notes :

J’ai parlé dans un précédent conte de l’aura qui entoure les chats tricolores. Les maneki neko  eux sont apparus à la fin de la période Edo. Ils sont encore aujourd’hui très populaires et utilisés par les magasins du monde entier.

Les maisons de thés (chaya) jouaient un rôle très important dans la vie quotidienne à Edo. Comme les maisons étaient souvent petites et n’offraient la plupart du temps pas de vraie cuisine ou d’endroit pour stocker correctement la nourriture, les gens mangaient très souvent dans ces petits restaurants ou à des chariots ambulants. Certains chaya ne servaient que du thé et des encas, d’autres étaient de vrais restaurants. C’étaient des endroits très populaires, où il n’était pas inhabituel de croiser des chanteurs ou des comédiens qui assuraient le spectacle. On trouvait aussi des maisons de thé sur les routes fréquentées (voir le mizuchaya de ce conte).

Les kimono sont des vêtements qui n’ont pas de poches. Mais il y a bien des moyens de transporter des objets sur soi. Les femmes peuvent ainsi glisser des choses dans leurs manches, ou glisser les objets plats dans leur ceinture obi ou leurs cols. Les hommes eux glissent souvent des choses dans le haut de leur kimono ou juban (sous kimono). Auparavant, ils transportait aussi des petites boîtes appelées inro attachées à leur obi.

Autres objets très pratiques de la vie courante : les tenugui (serviette rectangulaire) et furoshiki (morceau de tissu carré). Ces deux objets étaient et sont encore utilisés pour de nombreuses choses : envelopper, transporter, essuyer, …

[sources images :  1 / 2 / 3]

6 réflexions sur “Conte Japonais #31 – Un chaton grognon

  1. Lup Appassionata dit :

    Vraiment trognonne cette histoire, avec une jolie morale ! Et elle finit bien pour le chaton, ouf 😉
    Je crois savoir qu’au Japon les bars à chats ont la côte, et cela commence à ouvrir un peu partout par chez nous dans les grandes villes ^^
    Je ne connaissais pas le terme « calico », je disais « écailles de tortue » avant.
    Grâce à toi j’ai encore appris pleins de choses, avec les notes en supplément de ce très joli conte, merci 🙂

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