Conte japonais #64 – Attention au chien

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Il y a bien longtemps, un homme connu pour sa grande gentillesse vivait au coeur de la campagne d’Oita.

Kitchomu, c’était son nom, adorait les fêtes du nouvel an qu’il attendait toujours avec grande impatience tant elles éclairaient les longs et sombres jours d’hiver.

Une année, alors que Kitchomu était descendu de ses champs pour faire des emplettes au village en prévision du festin à venir, un grand vacarme s’éleva dans la rue.

Des enfants criaient, certains pleurant, d’autres jurant à tue tête.

Inquiet, l’homme régla ses achats en tout hâte. Il les fourra dans son large sac, et accourut à toutes jambes

– Et bien, et bien, qu’est ce qu’il se passe ici ?

Un marée d’enfants le submergea. Un petit garçon, dont le nez gouttait comme une fontaine, agrippa sa main et miaula :

– Méchant, méchant toutou !

Kitchomu jeta un œil à ce qu’ils pointaient tous en braillant.

Barrant férocement la porte de service d’une grosse maison, se dressait un chien à l’air peu commode.

Sous sa fourrure blanche, roulaient des muscles puissants. Le chien croisa le regard de  Kitchomu et découvrit des crocs brillants.

Le petit garçon s’accrochait toujours désespérément à sa main en reniflant bruyamment. Un gamin plus âgé intervint, hautain :

– Il a perdu son tambour. Et maintenant, ce sac à puce pense qu’il est à lui !

Kitchomu regarda plus attentivement le chien. Et en effet, entre ses pattes reposait un petit tambour aux couleurs vives.

L’homme avait le cœur tendre et ne pouvait supporter de voir un enfant triste. Il s’accroupit et, séchant les larmes et la morve du petit garçon, il dit tendrement :

– Allons, allons, il ne faut pas pleurer. Je vais récupérer ton jouet, d’accord ?

Kitchomu se redressa. Puis, tentant de paraître aussi inoffensif que possible, il s’approcha prudemment de l’ombrageux animal.

Murmurant doucement, l’homme tendit lentement la main vers le chien blanc:

– Bon chien, tu vois : je ne te veux pas de mal. Reste tranquille et…

Clap !

En un éclair, le chien avait bondit, ses larges dents claquant à un cheveu des doigts de Kitchomu. L’homme battit rapidement en retraite.

– Et bien, tu es un vrai bagarreur !

Se grattant la tête, Kitchomu décida de changer d’approche. Il ouvrit son grand sac, saisit l’un des gâteaux de riz qu’il avait acheté pour le Nouvel An, et il le jeta au chien.

L’animal ne renifla même pas la douceur à ses pattes. Vu son évident dédain, il était clair qu’on l’avait dressé à accepter uniquement la nourriture de la main de ses maîtres.

– Courageux et discipliné, tes maîtres sont bien chanceux ! Mais ta droiture n’arrange pas mes affaires, mon brave toutou…

Les enfants étaient tous encore réunis là, regardant Kitchomu avec des yeux plein d’espoir. L’homme réfléchit un instant. Le chien blanc lui, bailla à s’en décrocher la mâchoire et s’allongea négligemment sur le jouet.

Kitchomu eut finalement une idée.

Farfouillant dans son grand sac, il avança d’un pas prudent, puis d’un autre. Le voyant s’approcher, le chien chien se rassit, un grognement sourd résonnant dans sa poitrine.

Derrière l’homme, les enfants murmuraient anxieusement, se demandant ce quel plan il pouvait bien avoir en tête.

Soudain, alors que le chien découvrait ses crocs prêt à bondir, Kitchomu sortit de son sac un objet rond et métallique qu’il brandit à bout de bras devant lui comme un bouclier.

Comme hypnotisé, le chien se tut, les yeux ronds, la langue pendant comiquement de sa gueule.

Indigné, il gonfla sa fourrure, mais toute sa férocité semblait s’être envolée. L’animal jetait maintenant des regards obliques, et ne laissait échapper que quelques grognements peu enthousiastes.

Profitant de la confusion de la bête, Kitchomu saisit vivement le petit tambour dans la poussière et recula en toute hâte.

Les enfants éclatèrent d’une joie stridente. Alors que le petit garçon serrait contre son cœur son jouet retrouvé, le gamin plus âgé demanda, perplexe :

– Dis mon oncle : comment as tu réussi à dompter ce sac à puce ?

Kitchomu eut un sourire de renard et lui montra ce qu’il tenait à présent  dans les plis de son kimono.

– Un miroir !

Le chien blanc s’était trouvé nez à nez avec son féroce reflet, pensant qu’il s’agissait d’un autre chien.

Seul un gardien aussi fort et courageux que lui avait pu le remettre à sa place.


Notes :

Cette mignonne petite histoire est remplie de symboles rappelant la figure populaire du inu hariko (des petits chiens blancs en papier mâché portant bonheur). Parfait pour se préparer à l’arrivée du Nouvel An, car le Japon entrera dans l’année du Chien de Terre le 1er Janvier. L’année lunaire officielle commencera elle le 16 Février prochain.

Les Inu hariko, qu’on trouve en petite statuettes ou sur des plaques votives ema, sont supposés protéger les femmes enceintes pendant leurs grossesses. Mais, ils sont surtout utilisés durant les présentation des nourrissons au temple (miyamairi). Féroces chiens de garde, les inu hariko repoussent le mal tout comme les objets magiques qu’ils portent sur leurs dos – comme les dendentaiko, une sorte de hochet-tambour qui éloigne les maladies grâce au bruit qu’il produit.

Il est amusant de noter que la seule chose capable d’effrayer le chien féroce du conte d’aujourd’hui est un autre objet sacré : un miroir. Les miroirs sont des objets très importants dans la culture japonaise (l’un des plus précieux artéfact du Japon est le Yata no kagami, un miroir ayant ramené le soleil sur le monde).

Les miroirs sont perçus comme des fenêtres sur l’âme. Capables d’exorciser le mal, ils ont aussi une place de choix dans les sanctuaires shinto où ils symbolisent les kami. Ils sont parfois placés de manière à refléter les personnes priant à leur pied… reflétant ainsi peut être leur nature véritable ?

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