Conte japonais #63 – Le concours

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Il y a bien longtemps, il y avait dans l’ancienne Kyoto un immense temple qui faisait la fierté des habitants. Dédié aux dieux du tonnerre, ses sanctuaires se dressaient au nord-est de la ville, protégeant la capital des désastres et autres démons.

Car en ces jours lointains, biens d’étranges créatures hantaient encore le Japon. Et dans la forêt qui entourait le saint temple, vivaient un renard et un tanuki.

Ces bêtes n’étaient pas de joyeux voisins vivant en en paix et harmonie. En effet, toutes deux ne s’entendaient pas très bien.

Malignes et malicieuses, elles partageaient le même don de change-forme. Et tout le jour elles s’affrontaient, faisant tout leur possible pour faire briller leurs talents et détrôner leur rival.

– Et bien mon ami, quel tour pitoyable est-ce là ? Il te reste encore un peu de fourrure ici.

Riait le tanuki.

– Et bien mon ami, moi au moins je ne ressemble pas à une grosse flasque à saké.

Ricanait le renard.

Et leurs disputes continuaient, encore et encore et encore.

Bien sûr ce qui devait arriver arriva, et un jour, les deux adversaires se trouvèrent truffe à truffe.

Le renard sifflait entre ses crocs serrés :

– Je suis le meilleur métamorphe ! Pourquoi ne l’admets tu pas une bonne fois pour toute, cervelle frite !

Le tanuki soufflait :

– Allons face de tofu ! Même toi pourrais admettre que mes transformations sont géniales… si seulement tu n’étais pas si prétentieux !

Tous deux s’échauffaient et finalement, dans le feu de leur dispute, le gant fut jeté :

– Toi, moi. Au sanctuaire, demain matin. Nous verrons bien qui de nous deux est le meilleur !

– Le perdant quitte la forêt ?

– Evidemment !

Ainsi fut dit, ainsi fut fait.

Le lendemain matin, le tanuki entra sur les terres du sanctuaire à coussinets légers. Les monstres comme lui évitaient d’ordinaires ces lieux saints. Mais un pari était un pari et l’animal était tout à sa mission ;

– Je vais montrer à ce snobinard de quel bois je me chauffe !

Le tanuki déambula un bon moment entre les bâtiments de bois rouge vif. Il attendit, et attendit, guettant sa nemesis. Mais le renard ne montrait pas le bout de sa queue.

– Ce couard s’est défilé c’est sûr !

Soudain, un fumé délicieux fit frétiller sa truffe.

– Je sens… du riz tout frais et… oh de la tempura bien croustillante ! Miam !

Le tanuki tricota sur ses petites pattes. Et en effet, abandonné sur un banc tout proche, tout un repas reposait dans une belle boite laquée de noir.

L’animal jeta un oeil à droite puis à gauche, mais aucun humains n’était en vue.

– Et bien, au moins je n’aurai pas perdu mon temps !

Et, avec un sourire vorace, il s’élança.

Dans un nuage de fumé, le riz s’évapora laissant place au renard.

Le tanuki, surpris et emporté par son élan, percuta le banc alors que l’animal malin gloussait :

– Je crois que j’ai gagné !

Grommelant, le tanuki gonfla sa fourrure. Époussetant son museaux, il marmonna :

– Je demande un nouveau match. Même lieu, même heure demain !

Le renard, que sa victoire rendait grand seigneur, rit gaiement et accepta gracieusement le défi.

Le jour suivant, le renard retourna au sanctuaire.

Sûr de ses pouvoirs, il traversa les temples avec assurance. Pourtant, il ne trouva nulle trace du tanuki.

– A tous les coups ce gros balourd est en train de faire la grasse matiné !

Le renard soupira et s’installa près du temple principal pour attendre son adversaire décidément bien en retard. Il avait à peine commencé à peigner sa fourrure pour passer le temps qu’un délicat parfum fit frissonner ses moustaches.

En alerte, le renard huma vivement l’air. Dans le temple même, posé sur l’autel juste en dessous du miroir sacré, trônait une offrande : un bol de tofu frit tout frais.

La bête dressa ses larges oreilles, mais il n’entendit ni prêtre ni prêtresse.

– La chance est avec moi aujourd’hui !

Le renard pénétra dans la pièce, silencieux comme une ombre. Il s’approcha de l’autel de bois et se dressa sur ses pattes arrières, l’eau à la bouche.

Mais il ne put prendre une bouchée. Dans un tourbillon de feuilles, le bol disparut, dévoilant à la place le tanuki qui riait à gorge déployée :

– Tel est pris qui croyait prendre !

Le renard aussi était mauvais perdant :

– Il y a égalité ! Je demande la belle et…

Il ne put finir sa phrase. Le tonnerre éclata, faisant trembler le sanctuaire du sol au plafond. Les deux animaux sautèrent dans les bras l’un de l’autre, tout tremblants.

Le tanuki bredouilla :

– C’est bien ce que je pense ?

Le renard murmura :

– Après réflexion, tenir notre compétition dans un lieu sacré n’était peut être pas la meilleure des…

Le tonnerre gronda encore. Et les animaux s’enfuirent sans demander leur reste, disparaissant en un clin d’oeil dans le forêt.

On dit que cette infortune ne mit pas un terme aux continuelles disputes du renard et du tanuki. Mais, d’un commun accord, tous deux n’amenèrent plus jamais leur chamailleries sur les terres du sanctuaire.

Même les monstres les plus doués n’osent venir réveiller les dieux du tonnerre.


Notes :

Ce conte se déroule dans un ichi no miya, un sanctuaire shinto de premier rang. Ceux de Kyoto sont les Kamo-jinja : ces sanctuaires jumeaux (dédiés aux dieux du tonnerre Kamo Wake-ikazuchi) ont été bâtis le long de la rivière Kamo, dont la direction nord-est porte malheur en géomancie traditionnelle, pour protéger l’ancienne capitale impériale du malheur.

Kitsune (renard) and tanuki (chien viverrin) sont des animaux à qui l’on prêtait des pouvoirs similaires d’incroyables métamorphoses… et certains contes soulignent l’esprit de compétition de ces deux youkai. Cependant, la plupart du temps tous deux s’entendaient relativement bien : les kitsune préféraient se transformer en nobles ou jolies jeunes femmes, alors que les tanuki aimaient se changer en marchands ou boutiquiers.

Il est amusant de noter que ces deux animaux sont dit être tellement friands de certains aliments qu’ils ont donné leur noms à des plats populaires. Un tanuki-don est un bol de riz recouvert de miettes de tempura, le kitsune-don étant recouvert d’abura age (tofu frit). On trouve aussi de nombreuses variations dont le très connu tanuki/kitsune-udon, des nouilles épaisses servies avec les garnitures préférées de ces deux animaux. Miam !

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