Conte japonais #62 – Tempête de neige

snowstorm fr

Il y avait une fois, dans le lointain pays d’Ezo, une riche maison et une pauvre cahute qui s’élevait côte à côte dans un petit village envahi par la neige.

La riche demeure n’était en fait qu’une grosse ferme, de bois noirci par l’air hivernal. Mais, comparée à son pitoyable voisin, tout de torchis et de paille, elle n’en paraissant que plus opulente.

Un soir, une tempête inattendue déboula de l’ouest. Alors que les vents hurlaient, coupant et mordant sans relâche visages et mains, tous les habitants barricadèrent leur portes et leurs fenêtres en toute hâte.

Et alors que des flocons aussi gros que des oeufs de caille s’agitaient, ératiquemes, tous prièrent pour que le blizzard rugissant s’éloigne.

Lorsque sonna l’heure du boeuf, le monde sembla retenir son souffle. La tempête était partie, laissant derrière elle une nuit claire, quelques stalactites scintillantes, et un épais manteau de neige qui chatoyait sous la distante lune.

Un son brisa le silence qui drapait la riche demeure. Quelqu’un frappait aux épais volets qui protégeaient la maison.

Une voix jeune et tremblante implora :

– Il y a quelqu’un ? Je vous en prie, aidez moi ! J’ai été prise dans la tempête et j’ai perdu mon chemin.

Le riche fermier, réveillé par ce raffut, grogna méchamment :

– Nous avons eu suffisamment de mal à calfeutrer et chauffer notre maison. Hors de question que j’accueille une étrangère. Pour ce que j’en sais, tu es peut être une voleuse ou pire une meurtrière ! Va pleurer à la porte de quelqu’un d’autre !

La vagabonde laissant échapper une plainte choquée, à briser le coeur. Puis le silence glacial retomba à nouveau sur la ferme.

Dans l’humble cahute, un garçon et son père était blottis l’un contre l’autre, cherchant réconfort dans leur chaleur mutuelle. Leurs couvertures mangées aux mites et le petit âtre était loin de pouvoir lutter contre les vifs courants d’airs.

Un coup à leur porte les fit sursauter.

Puis, une petite voix hésitante appela timidement :

– Il y a quelqu’un ? j’ai perdu mon chemin dans le blizzard, pourriez vous m’accueillir pour la nuit ?

L’homme bondit sur ses pieds. Il ouvrit la porte et décrocha prestement les fines planches qui barraient le passage.

Une jeune fille se tenait là, son kimono d’un blanc argenté se fondant presque dans les congères, ses cheveux hirsutes aussi sombres que le ciel immobile au dessus d’elle.

– Par les Dieux, tu es chanceuses de t’en être tirée vivante ! Vite, vite, entre avant de mourir gelée !

Alors que le père la conduisait à l’intérieur, le fils fit de son mieux pour raviver le feu mourant. L’homme drapa la jeune fille dans sa propre couverture, puis lui tendit un bol ébréché :

– Je suis désolé ma puce, nous n’avons pas grand chose à t’offrir. Mais mange un morceau, ça te requinquera !

La fille engloutit joyeusement le clair bouillon de riz. Des larmes de reconnaissance brillaient dans ses yeux violet profond lorsqu’elle sourit au garçon, dévoilant ses petites dents blanches.

Mais le père fronçait les sourcils. Malgré les braises crépitantes et ce dîner chaud, la peau de la jeune fille brillait encore d’un inquiétant éclat bleuté, ses lèvres et le bout de ses doigts toujours exsangues.

– Pauvre petite chose, tu es encore glacée jusqu’au os…

L’homme et le garçon entassèrent rapidement les couvertures et bordèrent étroitement leur pâle invitée. Malgré sa peau aussi froide que du marbre, elle rayonnait sous leurs vigilantes attentions :

–   Vous êtes vraiment les plus gentilles personnes qu’il m’ait été donné de rencontrer !

Quelques minutes plus tard, elle avait sombré dans un sommeil profond et tranquille, et bientôt, le père et son fils la suivirent, pelotonnés autour d’elle comme des chiots.

Lorsque le matin vint, une déplaisante sensation de mouillé réveilla le garçon. L’esprit encore à moitié endormi, il marmonna :

– Oh non… je suis bien trop vieux pour mouiller mon lit… Attend une minute !

Complètement réveillé, il ouvrit les yeux. Le liquide ne se trouvait pas seulement sous ses fesses mais couvrait toutes les couvertures. Draps et futon étaient totalement détrempés par une eau glaciale.

Et la fille pâle s’était évaporée.

– Papa ! Papa !

Père et fils se levèrent d’un bond et coururent à leur porte. Mais dehors, pas une trace de pas n’entachait la neige vierge.

– Comment est-ce possible ?

Lorsqu’ils défirent le lit trempé, ils découvrirent entre les couvertures ce qu’il restait d’un kimono blanc.

Père et fils ne parlèrent jamais à quiconque de l’étrange visiteuse venue avec le blizzard et disparue comme la neige fondant au soleil.

Même quand, quelques jours plus tard, les gens trouvèrent leurs riche et peu charitables voisins raides sous leur luxueux duvets de plumes, pris dans les glaces et froids, froids comme la mort.


Notes :

Ezo est l’ancien nom donné aux régions du Nord du Japon, des territoires inexplorés de temps du vieil Empire. Ce terme désignait surtout ce qui est aujourd’hui Hokkaido, mais il était aussi utilisé pour la préfecture de Yamagata, d’où ce conte est originaire. Toute cette région à l’ouest de Honshu, entre les Alpes japonaises et la mer du Japon, est sujette à des hivers rigoureux et à de grosses chutes de neige – ce qui explique son surnom “pays de neige”(Yukiguni).

La mystérieuse visiteuse de ce conte est un être fantomatique appelé yuki-musume (fille neige), une variation de la plus connue yuki-onna (femme neige). Parfois monstres sanguinaires attirant les voyageurs dans des tempêtes glaciales, parfois tristes fantômes désirant un peu de chaleur et d’amour (comme celle d’aujourd’hui), les yuki-onna naviguent toujours entre le monde des esprits et le monde réel.

Les minka (maisons populaires) se font rares dans le Japon actuel, car les japonais ont tendance à démolire les vieux bâtiments pour en construire de nouveaux. Ces maisons ont un charme particulier, mais sont sujettes aux courants d’air qu’ils viennent de sous les planchers ou des fines portes coulissantes. Pour s’abriter des éléments et du froid,  les gens utilisaient des volets de bois appelés amado (que l’on rangeait souvent dans des boîtes, les tobukuro). Malgré cela, les japonais d’antan avaient aussi développé de nombreux accessoires pour admirer le passage des saisons, comme les beaux yukimi shoji, des fenêtres coulissantes spécialement destinées à admirer les paysages de neige.

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