Conte japonais #48 – A la vie, à la mort

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Il y avait une fois, dans un village isolé dans les montagnes, deux hommes appelés Rokuro et Shichiro qui étaient inséparables depuis leur enfance.

Leurs maisons était si loin de tout et leurs terres si désolées que tous deux avaient bien du mal à joindre les deux bouts. Tous les jours, ils travaillaient côte à côte dans leurs champs escarpés, et s’en retournaient chez eux cassés et fourbus.

Un soir, les deux hommes en eurent assez. Ils réunirent leurs familles et dirent :

– Cette vie ne nous rendra jamais riches. Demain, nous irons en ville chercher fortune. Un travail honnête nous y attend c’est sûr !

Le lendemain, les deux amis partirent avant l’aube et marchèrent et marchèrent à travers la forêt jusqu’à atteindre la ville.

Avec ses maisons raffinées et ses canaux tranquilles, c’est un lieu enchanteur comparé à leur pauvre village natal. Et comme ils l’avaient espéré, les deux hommes trouvèrent rapidement un emploi.

Rokuro était sérieux et travaillait dur. Rapidement, il mit de côté une somme rondelette. Mais Shichiro lui succomba aux tentations de la ville et bien vite il but et joua toute sa paie. Quand il fut temps de rentrer au village, il n’avait plus un sou à ramener à sa famille.

Rokuro posa une main amicale sur son épaule :

– Ne t’inquiète pas Shichiro-chan, je te prêterai un peu d’argent. Les amis sont là pour ça !

Et les deux hommes reprirent la route. Ils marchèrent et marchèrent et après de longues heures de voyage, il atteignirent enfin l’étroit pont de planches qui enjambait la rivière tumultueuse  près du village.

– Rokuro-chan, tu as l’air épuisé. Passe devant et laisse moi tes sacs, je vais porter tes affaires de l’autre côté !

Son ami lui lança un sourire reconnaissant. Et lui confia ses besaces, lourdes de ses économies, et s’avançant pour traverser le pont glissant, suivi de près par Shichiro.

Mais, arrivé au milieu, Rokuro se sentit soudain tomber, droit vers les flots rugissants.

Shichiro regarda Rokuro se noyer le visage dur, les sacs d’argent étroitement serrés contre sa poitrine et murmurant comme un fou :

– A moi, tout ça est à moi maintenant.

Et quand il gagna le village, l’homme versa des larmes de crocodiles :

– C’est une tragédie ! Rokuro est tombé du pont ! Je n’ai rien pu faire pour le sauver !

Un an passa et Shichiro, à qui les plaisir de la ville manquait terriblement, décida de s’en retourner là bas. Il plia bagage, dit au revoir à sa famille et prit la route.

Il était en train de traverser le pont qu’un cliquetis résonna étrangement dans l’air matinal.

L’homme pâlit : quelques chose marchait juste derrière lui. Il déglutit et se retourna lentement.

Un squelette aux os blancs polis se tenait sur les planches glissantes. Lorsqu’il leva une main, tous ses os tintèrent joliment :

– Oh Shichiro-chan, je suis tellement content de te retrouver ! Tu m’as tellement manqué mon vieil ami !

Le coeur de Shichiro battait follement dans sa poitrine. Il réfléchit à toute vitesse :

~ Pour un fantôme, il semble bien amical, cet idiot n’a probablement pas compris que c’était moi qui l’avais tué !~

Le meurtrier glissa un sourire hésitant.  Rokuro ajouta, ses dents claquant comme des castagnettes :

– Tu te rends en ville n’est ce pas ? je t’en prie laisse moi venir avec toi ! Je suis sûr que nous pourrions gagner beaucoup d’argent ensemble ! Après tout, ce n’est pas tout les jours qu’on rencontre un squelette qui parle !

Et il partit d’un rire étrange, sifflant comme le vent dans les montagnes.

Les yeux de Shichiro s’étaient illuminés à la mention d’argent facile. Il acquiesça d’un air avide et sans tarder, mit les os de Rokuro dans un sac et courut jusqu’à la ville.

Pendant des mois, l’homme cupide se produisit en spectacle près du sanctuaire. Il alpaguait la foule avant de révéler la pile d’os d’un air théâtral :

– Approchez, approchez tous ! Vous n’avez jamais rien vu de pareil ! Je vous présente… le merveilleux  squelette dansant !

Et comme par magie, Rokuro s’élevait comme une marionnette et dansait au rythme carillonnant de ses propres os. Devant ce drôle de spectacle, petits et grands s’esclaffaient :

– Ce marionnettiste est vraiment doué !

Tous les jours, pièces de cuivre et même parfois d’argent pleuvaient, et même en jouant et en buvant, la bourse de Shichiro finissait toujours un peu plus pleine.

Pourtant un soir, après une représentation réussie, l’homme soupira :

– Le calme du village me manque. Je suppose qu’il est temps de rentrer à la maison.

Le crâne de Rokuro cliqueta :

– Il me manque aussi. Partons demain !

Et aux premières lueurs de l’aube, ils prirent la route.

Quand il arriva au village, Shichiro fut accueilli comme un héro. Tous étaient là, admirant ses beaux habits et son élégante coiffure. L’homme se pavana, fier comme un paon, et tonna de sa meilleure voix de forrain :

– Oui, je suis finalement devenu riche ! Souhaitez vous savoir comment ? Je vous présente…. Le plus étrange spectacle de marionnette de votre vie ! Un numéro de danse incroyable et renversant ! Venez admirer… Le fabuleux squelette dansant !

Et d’un grand geste, il dévoila les os de Rokuro. Comme d’habitude, le squelette s’éleva comme par magie, ses os se mettant d’eux même en place. Son crâne s’éleva, la mâchoire claquante, et comme une marionnette, il se mit à danser, s’agitant au rythme de sa propre musique.

Le village tout entier était là en cercle, bouche bée et laissant échapper des petits “oh” et “ah” ébahis. Shichiro se tenait bien droit, très content de lui, lorsque le squelette termina sur une dernière pirouette.

La foule commença à applaudir mais la créature leva une main osseuse, la faisant taire. Puis, à la surprise de tous, elle se mit à parler d’une effrayante voix d’outre tombe

– Souvenez vous de moi ! Car je suis Rokuro, jeté d’un pont par celui qui se disait mon ami !

Tout le monde tourna de grands yeux effarés vers Shichiro. L’homme balbutia à la hâte un mensonge :

– Ce ne sont que des os liés avec des fils ! Allons, si c’est une blague, elle n’est vraiment pas drôle !

Mais Rokuro n’en avait pas fini :

– Cela n’a rien de drôle en effet, mon cher, très cher Shichiro: celui que j’aimais comme un frère m’a assassiné pour une simple histoire d’argent !

Un cri bouleversant brisa la foule lorsque la veuve de Rokuro bondit sur le meurtrier de son mari. Ses mains furieuses avaient à peine touché Shichiro que le squelette s’effondra, enfin apaisé.

Et, alors que le village tout entier réclamait à corps et à cri la tête de l’homme cupide, le crâne soupira de contentement :

– On est si bien chez soi !


Notes :

Les artistes de rue appelés kairaishi étaient une vision assez commune dans le Japon ancien. La plupart étaient des gens assez pauvres ayant pris la route pour chercher fortune. (ou au moins une vie meilleure). Ils proposaient des numéros de jonglage, des scénettes humoristiques, des numéros de marionnettes, etc. Ils étaient très populaires mais également regardés de haut : les voyages suivaient des lois très strictes dans la société japonaise, et il était donc peu commun de quitter sa ville ou son village.

Le pont de cette histoire est un ipponbashi (voir un exemple ici). Fait de planches ou de simples rondins, ces ponts très simples n’avaient pas de garde corps et étaient très étroits. Le bois était vite terriblement humide et glissant, il fallait faire très attention de ne pas glisser lorsqu’on traversait !

Le motif du mort cherchant à se venger est un classique des contes. Je trouve intéressant que les “os qui chantent” (et dansent comme d’aujourd’hui) pour dénoncer un meurtrier se retrouve partout à travers le monde (comme dans cette chanson)

[sources images : 1 / 2 ]

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