Conte japonais #45 – Un garçon affamé

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Il y avait une fois, un couple âgé qui habitait une petite maison au bord de la mer. C’était un pauvre foyer mais tous les alentours savaient que ces vieilles gens étaient douces et toujours prêtes à aider ceux dans le besoin.

Quelques années auparavant, le couple avait même pris un jeune orphelin, du nom de Maru, sous leurs ailes, et tous deux le considéraient comme leur propre petit fils.

Mais les années passaient, et bientôt dos cassés et mains tremblantes empêchèrent les deux vieux de transmettre à leur garçon tout leur savoir. Un jour, il firent venir Maru, le firent asseoir et lui dirent :

– Nous t’aimons tendrement mais tu sais combien nous sommes tous deux fatigués. Nous ne pourrons jamais d’apprendre correctement tout ce que tu dois savoir. C’est pourquoi nous avons demandé au chef des pêcheurs de te prendre comme apprenti.

Maru se mit à pleurer. Sa grand-mère, les yeux humides, sourit tendrement et le serra contre son coeur en disant :

– Allons ne pleure pas. Le chef est un brave homme et il sera bon avec toi. Et tu sais, même si tu devras vivre avec lui, cette maison sera toujours la tienne. Notre porte te restera toujours ouverte !

Ainsi fut dit ainsi fut fait. Quelques jours plus tard, Maru prit le chemin le long de la côte pour se rendre chez le pêcheur, à quelques kilomètres de là.

Pourtant, ce soir là, alors que les deux vieux étaient tristement assis dans leur maison maintenant si vide et silencieuse, quelqu’un frappa à la porte.

Tous deux sursautèrent, les sens en alerte, car ni l’un ni l’autre n’attendait de visiteur. Un petit voix s’éleva dans le crépuscule :

– Grand mère, grand père, c’est moi Maru !

La vieille femme se leva aussi vite que le lui permettaient ses vieux os  et ouvrit la porte :

– Maru ! Tu es blessé ?

Le grand père ajouta, d’une voix inquiète :

–  Tu devais rester avec ton maître. Que s’est-il donc passé ?

Le garçon sourit, les yeux brillant de joie – et d’une lueur espiègle :

–  Vous me manquiez trop ! Mes jambes sont jeunes et solides, cela ne me dérange pas de revenir ici tous les soirs pour passer la nuit avec vous !

Ces mots adorables firent s’envoler les coeurs des deux vieux. Il prirent l’enfant dans leur bras et le firent vite rentrer.

La petite famille s’attabla joyeusement et partagea un repas simple mais copieux. Et le jour suivant, Maru reprit avant l’aube le chemin de la maison du pêcheur, son baluchon rempli à craquer de boules de riz et de poisson séché.

Le semaines s’écoulèrent tranquillement. Chaque soir, Maru arrivait juste après la tombée de la nuit, s’asseyait et racontait avec passion ses journées en engloutissant un bon repas fait maison. Et chaque matin,il repartait au travail d’une démarche légère et sautillante, comme impatient de commencer sa journée.

Et puis, un après midi, alors que le vieil homme reprisait ses filets sur la plage et que tout près sa femme ramassait des coques à marée basse, Maru apparut de nulle part, courant  follement vers eux un grand sourire aux lèvres.

Le garçon se jeta dans les bras de son grand père, en riant entre ses larmes :

–  Cela fait tellement longtemps ! Je suis si heureux que le maître m’ait donné quelques jours de repos. Oh vous m’avez tellement, tellement manqué !

Le vieil homme laissa échapper un petit rire :

–  Mais nous n’avons pas été séparés bien longtemps, tu étais encore là il y a quelques heures.

Maru recula de quelques pas, l’air perdu :

–  De quoi parles-tu ? Je n’ai pas pu vous rendre visite depuis mon départ.

Les deux vieux se figèrent. Tous deux connaissaient leur garçon comme le dos de leurs mains ridées, et Maru n’avait rien d’un menteur. La grand mère se racla la gorge et dit :

–  Mais alors, qui… que diable avons accueilli et nourri chaque soir à notre table ?

Le vieil homme fronça les sourcils :

–  Nous allons vite en avoir le coeur net !

Tous rentrèrent dans la petite maison du bord de mer. Alors que le soleil se couchait paresseusement, la vieille femme mit un gruau de riz sur le feu. Et tous attendirent le visiteur nocturne.

Et pour sûr, dès que le jour disparut, on toqua à la porte et une petite voix enjouée tinta :

– Grand mère, grand père, c’est moi Maru !

Le vrai Maru resta bouche bée : l’imposteur avait exactement la même voix que lui !

Le vieux pris sa canne à pêche et fit un signe de tête à sa femme. Elle attrapa son pilon de bois, respira un grand coup et répondit d’un ton tranquille :

– Tu dois être affamé mon chéri ! Entre, la porte est ouverte.

La faux Maru se précipita à l’intérieur, excité comme le sont tous les enfants pressés de se remplir la panse. Et stoppa net son élan quand il se trouva face à face avec son jumeau :

– Oh ! Merde alors !

Mais avant que l’imposteur ait pu faire demi tour pour s’évanouir dans la nuit, la grand mère ferma la porte. Le grand père donna des petits coups à l’intrus avec sa canne à pêche :

– Qu’est ce que tu es hein ? Pas mon petit fils en tout cas, tu nous as bien berné !

Le visage du faux Maru se décomposa et il se mit à pleurer bruyamment toutes les larmes de son corps :

– Mais qu’est ce que vous faites ? Je suis votre petit fils !

La vieille femme tiqua et lui jeta un regard noir :

– Nous n’aimons pas les menteurs dans cette maison. Quand je pense que je t’ai nourri et que je me suis occupée de toi !

Lorsqu’elle mentionna la nourriture, l’imposteur déglutit, ravalant net ses pleurs. Le faux garçon jeta un regard pensif autour de lui et dit d’un voix impatiente :

– Mais si je ne suis plus un menteur, vous m’inviterez à nouveau à votre table, n’est-ce pas ? Dites oui !

Et avant que quiconque ait pu lui répondre, l’étrange enfant tourna sur ses talons et se métamorphosa. Dans un tourbillon, un tanuki prit sa place. Le petit animal joignit les pattes avant et implora, avec des yeux de chiot perdu :

– Pardon ! Pardon ! Pardon ! Mais vivre dans la forêt est tellement dur, on garde le ventre vide pendant des jours !

Le vieil homme se gratta la tête alors que sa femme laissait échapper un gros soupir :

– Et bien, le dîner est prêt de toute façon. Puisque tu es là, je suppose que tu n’as qu’à te joindre une nouvelle fois à nous.

Le tanuki eut un sourire rayonnant :

– Merci ! Oh merci ! Je t’aime grand mère !

En un clin d’oeil, l’animal malicieux s’installa à côté du vrai Maru qui le regardait toujours complètement décontenancé. Mais bien vite les différences s’effacèrent. Et sous le regard amusé des deux vieux, garçon et bête ne se mirent à bavarder et à se chamailler comme deux frères élevés ensemble.

Et c’est comme cela qu’un enfant humain se trouva affublé d’un frère jumeau tanuki.


Notes :

Les tanuki sont probablement les meilleurs changeformes du folklore japonais. Car la où les formes humaines des kitsune (renards) sont toujours décrites comme merveilleusement belles, les tanuki peuvent être n’importe qui – le boutiquier du coin de la rue, votre voisin, et même quelqu’un de votre famille ! Dans certains contes, ces animaux facétieux jouent si bien les humains que leurs connaissances mettent parfois des années à les démasquer !

Le période entre le jour et la nuit est un seuil symbolique dans de nombreuses cultures, séparant notre monde de celui des monstres. Sans surprise, dans bien des histoires, les créatures qui apparaissent au crépuscule ne sont souvent pas humaines. Et c’est la lumière de jour qui renvoient ces êtres d’un autre monde dans leur tanière. Jusqu’à la prochaine nuit !

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