Conte japonais #39 – L’Esprit de la Lune

moon spirit fr

Il y a bien longtemps, la lune était habitée par un esprit divin. Superbe et brillant comme le plus pur de joyaux, c’était pourtant une créature bien solitaire. Haut dans son refuge, un monde fait de pierres d’argent et de silence limpide, l’esprit désirait ardemment un compagnon.

Loin au dessous de lui, la terre fourmillait de vie. Chaque fois que l’esprit baissait les yeux il voyait humains et animaux, explorant les plus hautes montagnes, domptant les mers les plus profondes. Forêts et grottes, rivages et champs, partout les mortels prospéraient.

Plus il regardait la terre, plus l’esprit de la lune se sentait seul et sa curiosité grandissait chaque jour un peu plus :

– Tous semblent si heureux là-bas. Oh, comme ils ne réalisent pas leur chance !

Un jour, l’esprit n’y tint plus. Il se voila d’une brume soyeuse, et sauta de la lune.

La chute fut grisante : tombant et tombant toujours plus vite, il croisa étoiles scintillantes et nuages duveteux. Et bientôt, l’esprit posa pour la première fois le pied sur la terre.

Tout autour de lui, se dressait une forêt sombre, vision à la fois familière et étrange. Si loin du doux éclat de la lune, la nuit était d’un noir d’encre, et les arbres immenses projetaient leurs lugubres silhouettes comme des griffes.

L’air était glacé, rien ne bougeait. L’esprit en fut complètement décontenancé. Sous ses voiles soyeux, il frissonna.

–  La terre semblait bien plus accueillante vue du ciel…

L’esprit fit un pas hésitant, puis un autre. Dans ce monde inconnu tout lui paraissait anormal, distordu. Alors qu’il marchait toujours plus loin, son éclat divin s’affaiblit, doucement puis de plus en plus vite. Et il finit par s’éteindre totalement.

Son estomac gronda soudain :

– Oh, je suis si fatigué et j’ai tellement faim !

Sur la lune, il suffisait d’une pensée pour se sentir reposé et avoir le ventre plein.

– Comment les mortels peuvent-il supporter cela ?

L’esprit s’assit sur une large pierre, et se pelotonna pour lutter contre le froid. Les ronces avaient réduit ses beaux voiles en lambeaux. Autrefois radieux, il ressemblait à présent à un véritable mendiant, couvert de boue et d’écorchures.

Soudain, les ombres bougèrent. L’esprit se dressa d’un bond alors qu’une voix s’élevait des fourrés :

– Non, n’ait crainte petite chose.

Un renard apparut à pattes de velours, sa fourrure rousse brillant d’un éclat chaud. Une autre voix résonna dans un arbre :

– Nous ne te voulons aucun mal.

Perché sur une basse branche, un singe regardait l’esprit avec pitié. Une troisième voix ajouta :

– Tu as l’air d’avoir des ennuis. Tout va bien ?

Un lapin vint s’asseoir sur la pierre, ses yeux pleins de compassion.

A ce moment là, l’estomac de l’esprit gronda à nouveau. Il murmura, fort embarassé :

– J’ai vraiment très faim…

Les trois animaux s’entre-regardèrent puis acquièrent, d’un air résolu. Le lapin lui tapota affectueusement la jambe :

– Ne t’inquiète pas, nous allons t’apporter de quoi manger.

Et avant que l’esprit n’aient pu ouvrir la bouche, la forêt les engloutit à nouveau. L’apparition divine eut un léger sourire et songea alors qu’il levait les yeux vers le ciel nocturne :

– Quelle bonnes âmes. La terre n’est peut être pas un endroit si terrible après tout…

Le singe fut le premier à revenir. Se balançant de branche en branche, il bondit gracieusement au pieds de l’esprit. Dans ses bras, l’animal malin tenait des fruits mûrs et juteux.

– Ca va te requinquer tu verras !

L’esprit était fort touché par cette offrande sincère. Mais, avant qu’il est pu remercier le singe, le renard réapparut, tenant un poisson d’argent bien gras dans sa gueule.

– Voilà de quoi manger à ta faim !

L’esprit éclata de rire, le coeur rempli de joie

– Vous êtes si bons avec moi ! Et quels chasseur et cueilleur talentueux vous faites !

Sous les fourrés, le lapin se recroquevilla, plein de honte. Le pauvre n’avait pas eu autant de chances que ses amis. Et il avait cherché partout mais sans succès. Et le voilà qui revenait pattes vides. Les oreilles tombantes, le petit animal se lamenta :

– Je dois trouver quelque chose pour aider ce malheureux mendiant. Mais quoi ?

Le lapin finit par rejoindre l’esprit et dit au singe et au renard :

– Je ne suis pas encore tout à fait prêt. Pourriez vous allumer un feu ? Cette pauvre chose est transie jusqu’aux os.

Ses compagnons ne se firent pas prier et bientôt, un bon feu craquait et dansait devant l’esprit qui y réchauffa vite ses mains gelées.

Le lapin soupira et se tint courageusement devant la flambée. Il s’inclina et dit, d’une voix tremblante :

– Pardonne moi pauvre mendiant, mais je n’ai rien d’autre à t’offrir que moi même… Je- je vais donc sauter dans ce feu… je serais vite cuit à point et tu pourras alors me manger.

Ses amis n’eurent pas le temps de réagir : fidèle à sa parole, le lapin bondit et disparut dans les flammes.

L’esprit se dressa de toute sa taille, son rayonnement divine illuminant la scène dans un flash aveuglant :

– Non, je n’ai jamais voulu cela !

Sur un geste de sa main, un vent froid comme la lumière de la lune se leva et souffla le feu. Niché dans les cendres, reposait le lapin qui respirait à peine.

L’esprit divin prit doucement la pauvre créature dans ses bras :

– Une âme si noble et désintéressé ! Et voilà que par ma faute elle se meurt ! Tu ne mérites pas ce sort, tu n’aurais jamais dû te faire du mal…

L’esprit s’interrompit et regarda tendrement le lapin :

– Aimerais-tu te joindre à moi, là haut sur la lune ? Là bas tu vivras éternellement à mes côtés, mon bel ami.

Le lapin acquiesça faiblement. L’esprit sourit, lumineux comme la pleine lune, alors que des voiles soyeux  les enveloppaient. Sous le regard émerveillé du singe et du renard,  une brise légère les souleva de terre et les entraînèrent haut, haut, haut dans le ciel nocturne. Et ils s’évanouirent dans les nuages.

Encore aujourd’hui, si vous regardez avec attention la lune, vous distinguerez peut être la silhouette d’un lapin, seule preuve qu’un jour l’esprit de la lune vint sur terre et repartit avec un compagnon mortel.


Notes :

Comme évoqué ici, en Asie, on a coutume de voir dans les cratères de la lune l’image de lapins. Et le tsuki no usagi (lapin de la lune) est un personnage très populaire au Japon.

Avec leur grande fertilité, ces animaux ont été très tôt associé à la lune, autre symbole de prospérité. Le lapin altruiste est une histoire très connue qui est probablement d’abord apparue en Inde et s’est étendu à travers toute l’Asie, chaque pays apportant ses propres variantes.

Le conte hindouiste/bouddhiste permet de mieux comprendre le suicide du lapin : tuer un animal et manger se chair était en effet un tabou. En se suicidant, le lapin empêchait en fait les autres créatures d’un acte horrible.

La version chinoise, le “Lapin de Jade” est liée à la légende de l’élixir d’immortalité. Cette histoire explique pourquoi le lapin est lié à l’esprit de la lune (la déesse Chang’e) mais aussi le mortier et le pilon – qui lui servaient à réaliser cette boisson magique.

Ces outils sont restés dans la version japonaise du conte, à l’exception que là bas le lapin ne s’en sert pas pour réaliser un élixir de vie… mais pour faire de la pâte de riz (mochi) !

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