Conte japonais #28 – Le chat du charpentier

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Il y avait une fois, un charpentier qui vivait près du temple de Kanda Myojin, dans la vieille ville d’Edo.

Le pauvre homme avait perdu sa femme bien jeune mais ne s’était jamais remarié. C’était un être mélancolique mais doux que tous ses voisins appréciaient.

Le charpentier avait pour seul compagnon une chatte écaille de tortue qu’il avait recueillie alors qu’elle était encore un chaton.

Tous les matins, avant de partir travailler, il remplissait son bol de riz blanc. Et tous les soirs, sur le chemin du retour, il lui achetait du poisson frais à la poissonnerie.

Le charpentier avait même poli un morceau de cèdre parfumé pour en faire un confortable panier.

Grâce à tous ces bons soins, le manteau de la chatte tricolore était toujours souple et brillant. Après dîner, l’homme aimait à s’asseoir sur son porche, pour admirer la lune. Apaisé, il caressait distraitement la fourrure soyeuse de ses doigts calleux et la chatte ronronnait encore et encore.

Mais le temps passa et un jour, le charpentier du consulter un médecin :

– Sensei, il y a quelque chose de bizarre avec mes yeux : le monde est de plus en plus flou.

Le docteur l’examina avant de soupirer tristement :

– Je suis vraiment, vraiment désolé. Mais il n’existe aucun remède contre cette maladie.

En quelques mois, le charpentier devint complètement aveugle.

Comme il ne pouvait plus travailler, il dut bientôt vendre tout ce qu’il possédait et compter sur la charité de ses voisins et des moines pour survivre.

Pourtant, malgré sa pauvreté, l’homme continuait à mettre de côté les plus beaux morceaux pour son chat adoré.

– Je prendrais toujours soin de toi, quoi qu’il advienne.

L’automne passa et l’hiver vint s’installer. En dépit de la bonne volonté des uns et des autres, la vie était de plus en plus dure pour l’ancien charpentier.

Une nuit glaciale, alors que le pauvre homme était pelotonné avec sa chatte pour essayer de se réchauffer, il éclata soudain en sanglots:

– Qu’allons nous devenir. Mes yeux sont morts, j’ai perdu notre maison et bientôt, je ne pourrais même plus correctement te nourrir.

– Miaou.

Lui répondit la petit chatte, comme si elle comprenait son discours haché de larmes. Le charpentier serra sa seule amie contre lui :

– Je devrais te trouver une bonne famille qui prendrait soin de toi. Mais tu me manquerais tellement…

Entre deux sanglots, le charpentier finit par s’endormir.

Une étrange sensation le réveilla. Une chose de froide et râpeuse touchait ses paupières.

– Mais qu’est-ce que…

Ses mains rencontrèrent une chaude fourrure.

– Oh c’est toi. Mais qu’est ce que tu fabriques ?

Le charpentier tenta de déplacer sa chatte mais elle ne cessait de revenir se tapir près de sa tête.

Elle lui lécha la paupière droite puis la gauche.

Sa langue râpeuse chatouillait la peau sensible et le charpentier ne put s’empêcher de rire:

– Tu es vraiment bizarre toi parfois !

A partir de cette nuit, la chatte prit l’habitude de lécher les paupières du charpentier chaque soir avant d’aller dormir.

– Tu dois penser que je suis un chaton malade sur qui tu dois veiller, n’est ce pas ?

Et puis, un matin, l’homme s’éveilla dans une nébuleuse clarté. Après des mois de ténèbres, il percevait à nouveau la lumière.

Il courut chez le médecin :

– je vous en prie ! Dites moi que je ne rêve pas !

Le docteur n’avait jamais vu une chose pareille :

– Une telle rémission était inespérée. Mais oui : on dirait bien que vos yeux sont en train de se remettre !

Le charpentier reprit espoir.

Chaque jour, le monde redevint un peu plus clair. Jusqu’à ce qu’enfin, le voile ne quitte complètement ses yeux.

Pour la première fois depuis bien longtemps, le charpentier voyait les choses avec netteté. Il se tourna vers sa chatte et étouffa un cri.

Les yeux de l’animal, autrefois d’un bel ambre clair, avait à présent la couleur trouble du lait.

L’homme prit la petite chatte aveugle dans ses bras et s’écria :

– Tu as sacrifié tes yeux pour moi idiote ? Mais ne crains rien, je prendrais toujours, toujours soin de toi !

Et la chatte ronronna encore et encore et encore.


Notes:

Les chats tricolores (mike neko en japonais) sont considérés comme des animaux porte bonheur dans de nombreuses régions du monde – dont au Japon. Par exemple, si d’autres couleurs (notamment le blanc) sont à présent répandues, on considère encore la teinte écaille de tortue comme la plus faste pour les statues maneki neko.

Dans beaucoup d’histoires, ces chats portent chance à leur maîtres. Les marins japonais avait pour coutume d’embarquer à leur bord des chattes de cette couleur pour garantir leur arrivée à bon port. Et on pensait le pouvoir porte bonheur de ces animaux encore plus efficace s’il s’agissait d’un mâle (les chats tricolores mâles sont très rares).

On dit que les tricolores et écailles de tortues sont des chats très attachés à leurs maîtres. On les considère –à tort– tout spécialement bavards, joueurs bien qu’ayant un sacré caractère. On dit même que ces chats améliorent tout spécialement l’humeur de leurs maîtres ! Mais, en tant que propriétaire de chats, je me permets de souligner que tous les chats peuvent faire cela – et ce quelque soit la couleur de leur poil !

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